Communication et Alzheimer
► Au-delà des mots
Échanger malgré tout
SE DIRE BONJOUR.
Discuter du dernier dîner partagé avec des amis. Se regarder et savoir exactement ce à quoi l’autre pense. Autant de moments de complicité dont sont exclus les personnes souffrant de troubles cognitifs de type Alzheimer et leur entourage. Progressivement les mots vont manquer ou perdre de leur sens. Les incompréhensions vont se multiplier. Puis suivront le découragement et l’agacement. La mise à l’écart est-elle pour autant irréversible ? Lorsque la mémoire puis la communication sont affectées, comment se parler et se comprendre ? Est-ce seulement possible ? Ces questions se posent au quotidien pour les premiers concernés par la maladie, pour leurs familles, leurs amis, mais pas seulement. Les professionnels du domicile ou ceux travaillant en établissement sont confrontés aux mêmes difficultés de communication.
Demeurer un interlocuteur jusqu’au bout. Être reconnu comme une personne à part entière, malgré la maladie et ses conséquences cognitives. C’est bien là l’essentiel. Le plus difficile aussi. N’oublions pas que pour communiquer, il faut être deux. Encore faut-il se donner la peine de vouloir échanger, avoir les moyens de le faire, prendre le temps d’observer et d’adapter son langage.
PARLER AUTREMENT.
Des études (méconnues) publiées à la fin des années 60 révélaient que les mots ne représentent que 7 % de la communication. Seulement 7 %. Le reste s’appuie sur les mimiques, les gestes, le ton de la voix… Alors pourquoi le non-verbal est si peu ou si mal utilisé sachant que la communication paraverbale reste préservée longtemps chez les personnes souffrant de maladies neurodégénératives ?
Sur le terrain, le bon sens est le premier allié : regarder son interlocuteur dans les yeux, lui faire face, parler d’une voix posée sans bruit parasite, employer des phrases courtes et simples, éviter les questions trop longues. Rassurer la personne avec des techniques éprouvées comme la validation, l’indiçage, la reconnaissance de l’autre.
Dans ce numéro, les professionnels partagent leurs techniques : pictogrammes, smileys, carnet de communication, recours au toucher, au soin relationnel, à la langue des signes adaptés, au signé bébé, aux animaux, à l’art-thérapie, à la musique, aux nouvelles technologies : les solutions ne manquent pas. Reste à sensibiliser le plus grand nombre avec l’ambition de limiter les risques d’incompréhension du quotidien, faute d’une méconnaissance de la maladie. Quand le dialogue est proscrit, il reste la bienveillance, le regard, le toucher. Le fait d’accepter aussi de ne pas tout comprendre de l’autre.
DES ACCOMPAGNEMENTS À AMÉLIORER.
À domicile, les auxiliaires de vie sont en première ligne. Et pour que l’accompagnement au repas, à la toilette, au coucher se passe sans refus de soin ni trouble du comportement, rien n’est inné : l’intervention doit être acceptée par la personne en perte d’autonomie, et son consentement doit être pris en considération. L’éthique du quotidien ne doit pas être sous-estimée pour entendre la voix d’une personne qui ne parle plus.
Pourtant, des questions se posent face aux carences actuelles : pourquoi les interventions à domicile des psychomotriciens libéraux, spécialistes du langage du corps, ne sont-elles pas prises en charge ? Pourquoi les séances d’orthophonie en Ehpad sont elles rares alors que plus personne ne s’étonne de la présence quotidienne de kiné ? Pourquoi les aidants à domicile comme en établissement ne sont ils pas davantage sensibilisés à l’éducation thérapeutique ? En somme pourquoi ne devrait-on pas tout tenter pour garder ce lien ténu mais si précieux, essentiel à une communication jusqu’au bout de la vie ?
- Sommaire
ÉTAT DES LIEUX
- Au-delà de l’émetteur et du récepteur, Philippe Giafféri, ancien formateur et écrivain
- Des facultés empêchées, Louis Ploton, psychiatre
- Continuer à communiquer, Judith Mollard, psychologue clinicienne
- Prise en charge orthophonique des troubles du langage, Thierry Rousseau, orthophoniste, docteur en psychologie, HDR, directeur de recherche LURCO ERU 17
- Quand le non-verbal améliore la compréhension, Lise Pottier, orthophoniste, formatrice chargée d’enseignement à l’université de Lorraine
SUR LE TERRAIN
- Parler du bout des yeux, Ludivine Machard, responsable de secteur et Magali Amrani, directrice du SAAD Au Pays des Vermeilles
- Dans le huis clos du domicile, Véronique Tapia, assistante de soins en gérontologie et formatrice
- Au-delà des mots, Claudie Kulak, fondatrice de la Compagnie des aidants, vice-présidente du collectif Je t’Aide
- La technologie : un outil à améliorer, Olivier Marousé, ergothérapeute responsable du Centre d’information et de conseil sur les aides techniques de Lorraine, Fondation Bompard
- Activités propices aux échanges, Amélie Barraud, neuropsychologue Amaelle UNA Alençon Perches
- Tendre la main, Sébastien Briouze, directeur d’Ehpad et Isabelle Murillon, infirmière, Maison Saint-Joseph
- Le soin relationnel, Gwénaël André, infirmier, formateur IFPS Vannes
- Le toucher pour redécouvrir, Stella Choque, cadre de santé et formatrice
- L’art-thérapie comme support, Liza Halimi, art-thérapeute
- Animation et communication non verbale, Richard Mesplède, ancien animateur en Ehpad et formateur
- Pictogrammes et smileys pour mieux comprendre, Nathalie Benarroch-Quéral, psychologue gérontologue
- Des animaux en soutien, Carine Cherboeuf, formatrice et zoothérapeute
- Quand le chien amorce l’échange, Chrystèle Jusseaume, animatrice en Ehpad
- Des signes associés à la parole, Cindy Franqueza et Amandine Wu, formatrices
MISE EN PERSPECTIVE
- De la position d’écoute vers la confiance réciproque, Cécile Bacchini, psychologue
- Utiliser le langage corporel, Christine Bonnet, psychomotricienne libérale à domicile et en Ehpad
- Ne pas ignorer l’apathie et ses conséquences, Thérèse Rivasseau Jonveaux, service de neurologie, coordonnatrice centre Mémoire et Ressources et de Recherches de Lorraine CHRU Nancy
- Quand tu t’en mêles, les mots s’emmêlent, Charline Robert, psychologue
- La musique au service de la communication, Mathilde Resse, Renaud Coppalle et Mathilde Groussard, Normandie Univ, UNICAEN, PSL Université Paris, EPHE, INSERM, U1077, CHU de Caen, Cyceron, Neuropsychologie et Imagerie de la Mémoire Humaine (NIMH), 14000 Caen, France
- L’indispensable questionnement éthique, Laure Jouatel, gériatre et directrice médicale LNA Groupe